Le récent incident survenu à la centrale solaire Noor III Ouarzazate a remis en question la stratégie énergétique du Maroc, en particulier en ce qui concerne son volet solaire. En effet, le 21 mars, un communiqué émanant du groupe saoudien Acwa Power, exploitant de la centrale, a annoncé la détection d’une fuite dans un réservoir de sels fondus. L’utilisation de sel fondu pour le stockage d’énergie constitue une innovation majeure dans le domaine de l’énergie solaire, permettant de produire de l’électricité pendant 7 heures sans rayonnement solaire.
Cependant, ce système a connu une «défaillance technique majeure», selon le communiqué d’Acwa Power. Les conséquences financières pourraient s’élever jusqu’à 47 millions de dollars, et les réparations pourraient prendre plusieurs mois. Cette perturbation à Noor III entraînera également une baisse notable de la production nationale d’électricité, avec une perte estimée à 0,9%, soit environ 420 gigawattheures (GWh) sur toute cette période.
Impact modéré
La panne affecte également la puissance électrique disponible, entraînant un déficit de 150 mégawatts (MW), soit environ 2,1% de la capacité maximale requise. Cependant, cela ne devrait pas entraîner de risque majeur pour le réseau électrique national, car l’Office National de l’Électricité et de l’Eau Potable (ONEE) dispose de ressources alternatives pour compenser cette lacune. En comparaison avec des événements antérieurs, tels que l’arrêt des centrales à gaz entre 2021 et 2023, l’impact de cette panne demeure relativement modéré.
“Il n’y a pas suffisamment de retour d’expérience avec le stockage thermique dans les sels fondus. Nos responsables ont absolument voulu lancer des marchés pour avoir de l’électricité solaire la nuit en utilisant cette technologie à un moment où le solaire photovoltaïque et le stockage sur batteries n’étaient pas encore compétitifs”, nous explique l’expert en énergie Amin Bennouna.
La défaillance du système de stockage par sel fondu, associée aux choix technologiques de ces centrales solaires, soulève des questions quant à la pertinence des orientations de la stratégie solaire adoptée par le Maroc. Dès son lancement officiel en 2009, le “Plan solaire marocain” avait misé sur d’énormes centrales solaires, avec des technologies de pointe. C’est le cas du complexe solaire Noor Ouarzazate, l’un des plus grands au monde utilisant la technologie CSP (Concentrated Solar Power).
CSP vs PV
Tout comme pour le stockage par sel fondu, le choix de la technologie CSP s’est avéré controversé. Dans un rapport datant de 2020, le CESE avait ainsi estimé qu’au regard des prix du photovoltaïque (PV) et de l’éolien, “la technologie CSP s’avère dorénavant, malgré l’avantage du stockage, relativement chère et n’est plus justifiée à l’avenir, et ce, d’autant plus que les niveaux d’intégration industrielle locale sont tellement bas, qu’ils ne permettent pas de justifier le surcoût”.
De plus, les choix technologiques relativement chers adoptés par MASEN sur les premiers projets occasionnent “un déficit qui ne devrait pas se creuser au vu de la compétitivité gagnée sur les nouveaux projets”, souligne le CESE. Le déficit est estimé à 800 millions de dirhams par an des centrales Noor I, II et III. Il est dû au gap entre les prix d’achat aux IPP (Producteurs d’énergie indépendants) et les prix de vente à l’ONEE.
Tendance au gigantisme
L’autre reproche aux projets solaires Noor est leur tendance au gigantisme. L’investissement dans la centrale solaire Noor de Ouarzazate dans ses différentes phases est estimé à quelque 9 milliards de dollars. Pour Masen, ce choix se justifie par les économies d’échelle, une capacité de stockage accrue et la volonté de maximiser le rendement dans des zones à fort ensoleillement. À contrario, les petites stations sont plus flexibles et moins invasives, mais leur capacité est limitée et leur coût unitaire peut être élevé.
Faut-il pour autant tout revoir de fond en comble ? Depuis la mauvaise expérience de Noor Ouarzazate, MASEN a abandonné la technologie CSP pour ses futurs projets, notamment Noor Midelt I, II et III qui fonctionneront au photovoltaïque classique. “Même si c’est une voie très capitalistique et que nous n’en avons pas les moyens, il reste qu’aujourd’hui, le solaire photovoltaïque et l’éolien produisent l’électricité la moins chère et qu’il faudra que nos ingénieurs cessent de se plaindre et décident enfin de s’adapter à gérer leur intermittence”, conclut Amin Bennouna.
En conclusion, l’incident à la centrale solaire Noor III Ouarzazate met en lumière les défis et les questionnements entourant la stratégie solaire du Maroc. Le choix des technologies, la taille des projets et la gestion des risques sont autant de aspects qui nécessitent une réflexion approfondie afin d’assurer la durabilité et l’efficacité du secteur énergétique du pays. Il est impératif pour les décideurs et les acteurs du domaine de l’énergie de tirer les leçons de cet incident pour mieux orienter les futurs projets et garantir une transition énergétique réussie.